ou "Le dialogue de deux montagnes"
D'après Correspondance de Marina TSVETAEVA et BORIS PASTERNAK
Avec Nicolas BRIANCON et Marie-Josée CROZE.
Mise en espace, Nicolas BRIANCON
4 juillet 2016 / Cour du Château de Grignan.
"Dis-tance : des verstes, des espaces...On nous a dessoudés, déplacés".
Ces vers adressés par Marina Tsvetaeva à Boris Pasternak en 1925 tressent le noeud de la relation particulière qui unit ces deux géants de la poésie russe de juin 1922 à mars 1936.
Durant cette période, alors que Tsvetaeva a fui la Russie pour rejoindre respectivement l’Allemagne, la République Tchèque, et enfin la France, ce ne sont pas moins de deux-cent lettres et poèmes qui traverseront l’Europe de part en part.
Plus qu’une simple correspondance, l’échange épistolaire qu’entretiennent Marina Tsvetaeva et Boris Pasternak est le récit d’une concordance; le dialogue accidenté de deux « acrobates du lien de la pensée ». Deux poètes-amants, qui trouvent dans la confrontation de leurs intimes poétiques le moyen aussi de sublimer le contact impossible de leurs peaux.
C’est une histoire d’exil qui s’écrit tronquée, inégale, raptée. Une tentative fragile de réinventer les modalités de l’absence. De tordre l’Histoire. D’aller contre le temps — contre le trou, et la disparition lente du lien.
A l’infini je te lacerai, et si je mens, crois-moi; et si je te serre, étouffe; et si je lâche, résonne en moi, comme dans ce creux où je m’abandonne — jusqu’à la prochaine douleur. Soit cet autre qui entend par-delà. Nomme-moi! Aime moi.
Et peut-être que la rencontre véritable aura lieu là, dans ce geste tendu de l’un vers l’autre — sans finalité autre que sa propre tension —, ce geste épuisé dans l’élan bandé de son arc. La rencontre « comme un arc — au-dessus des fronts ».
Sigrid CARRÉ LECOINDRE
Boris PASTERNAK et Marina TSVETAEVA
"Chère Marina Ivanovna!
Vous n’êtes plus une enfant, mon cher, mon précieux, mon incomparable poète, et vous comprenez, je l’espère, ce que cela signifie de nos jours dans une atmosphère où il y a pléthores de poètes et de poétesses ; où il y a tant de talents honorables.
Que la vie est bizarrement et stupidement taillée ! Il y a un mois, je pouvais vous approcher à cent pas, et les Verstes existaient déjà. Pourquoi, alors ne vous êtes vous pas adressée à moi en ces termes : « [Boris Leonidovitch], je crois que vous êtes un poète, par conséquent vous n’avez pas souvent l’occasion d’admirer vos contemporains. Eh bien, sachez que l’occasion d’admirer s’est présentée ces jours-ci. Lisez mes Verstes. Elles sont un étalon de la poésie. On dit que c’est moi qui ai écrit ce livre."
Correspondance, Boris PASTERNAK, Marina TSVETAEVA (extrait)