1933 — le tonnerre gronde au dessus de la vieille Europe. Hitler reçoit les pleins pouvoirs, le nazisme gagne du terrain et, désemparée, la jeunesse ballotte entre des schémas anciens et des mensonges rassurants.
Au coeur du marasme, — et contre l’avis parental résolument pro-hitlérien — Annemarie Schwarzenbach rejoint les rangs contestataires d’une jeunesse intellectuelle et engagée.
Mais l’« héritière zurichoise » a la santé fragile, et cette fois « le destin est trop près ». Elle se perd dans la morphine, elle cherche un ailleurs. Un point de fuite.
A l’automne 1933, elle quitte l’Europe pour l’Orient. Elle reviendra à plusieurs reprises pour toujours repartir. Si l’engagement a un coût — la liberté aussi.
Au lendemain de sa mort, en 1942, sa mère — Renée Schwarzenbach — détruit toute sa correspondance. Ainsi, dans ces Lettres à Claude Bourdet, l’absence de la voix du « Petit Claude » — qui deviendra le résistant célèbre et le journaliste politique que l’on connait — se fait terriblement sentir.
Or, c’est aussi ce silence qui, en creux, révèle le charme ambivalent du soliloque d’Annemarie — sa difficulté à être au présent du conflit contre son insatiable besoin d’écrire le monde, pour l’abriter, tenter en vain de le consoler. Comme un chant de l’intime, de soi à soi, de l’âme politique à l’âme poétique, avant de partir, encore et toujours. Une dernière fois, Fuir à l’Est…
Sigrid CARRÉ LECOINDRE