Sigrid CARRÉ LECOINDRE, auteure

LES COEURS TETANIQUES / Tentatives

LES COEURS TÉTANIQUES ont été créés en mai 2016 au T2G sur une commande et dans une mise en scène de Lena Paugam.

Avec Leslie Bouchet, Sébastien Depommier, Antonin Fadinard, Nathan Gabily, Pierre Giafferi, Lena Paugam (remplacée ensuite par Helène Rencurel) et Fanny Sintès.

 

La pièce appartient au diptyque AU POINT MORT D'UN DÉSIR BRÛLANT incluant aussi la pièce d'Antonin Fadinard, LES SIDÉRÉES

 

Le spectacle a été repris en novembre 2016 au Théâtre National de Bretagne et en janvier 2017 à La Passerelle - Scène Nationale de St Brieuc, dans le cadre du Festival "METTRE EN SCENE" 

 

"LES COEURS TÉTANIQUES, est une carte de mots, une épopée fragmentaire qui prend les contours d'un constat global.

Celui de la fin d'un monde à l'agonie de s'avaler lui-même. 

Celui aussi, d'une génération qui regarde demain comme un mur, glisse au débord d'un sablier invisible et compte les minutes avant la bascule ; en tentant d'inventer, de penser, de projeter de nouveaux modes d'action et de désirs – les yeux rivés sur la force indéfectible d'une ultime tentative. Pour nommer à chaque seconde, l'inconscience qu'il y aura désormais, à remettre à demain." Sigrid CARRÉ LECOINDRE

 

 



Chiharu Shiota, Sleeping_is_like_death. Photo Isabelle_Arthuis

NOTE POUR L'ECRITURE DES COEURS TÉTANIQUES / (Extrait)

DÉSIR

       I        D

        S I D É R E R

       E       S

       R       I

                 R

                 E

                 R

 

Lorsque Lena Paugam m'a commandé le texte des COEURS TÉTANIQUES, elle inscrivait cette commande dans la continuité de son cycle de recherches doctorales SACRe consacré à l'étude de la crise du désir dans les écritures dramatiques contemporaines.

Il s'est agit alors pour elle de confronter deux écritures, celle d'Antonin Fadinard et la mienne, au sein d'un diptyque AU POINT MORT D'UN DÉSIR BRÛLANT devant réinterroger sur la base d'une réécriture libre des TROIS SOEURS de Tchekhov, les concepts de désir et de sidération, aujourd'hui. C'est donc ainsi que sont nés LES COEURS TÉTANIQUES, dans cette tentative de naviguer aux bermudes de ces deux notions.


Désirer-Sidérer. Anagramme infernal dont la puissance écholalique obsède.

Que serait la sidération sans la notion même de désir?

Rien. Ou peut-être juste un vide en trop. Une noyade de plus. 

Car si la sidération multiplie ses bascules et sait emprunter plusieurs visages, elle finit toujours par revêtir le manteau râpé de ces déserts arides – de ceux qui balayent les périodes d'abondances. Foisonnement ou fringale – qu'elle provienne du manque ou de l'excès, la crise est la même. 

Désir et sidération avancent indissociables pour organiser ensemble la fuite en avant d'un « présent » tuméfié. Aussitôt dit,

aussitôt mort –

Car il n'existe pas ce présent n'advenant que par la répétition hoquetante, et inexacte de lui-même.

Le présent sidéré est un présent confiné et sans contours dans lequel une décennie ne diffère pas d'une minute.

Un présent de « vagabondages immobiles » trépignant d'une seconde à l'autre – et coulant,

sa coulée le dépasse, et l'accable d'une présence qui n'est déjà plus la sienne. 


D'un point de vue strictement philosophique, toute la difficulté d'écrire LES COEURS TÉTANIQUES réside dans une constatation originelle simple : 

Ecrire la sidération comme blocage implique de frustrer le désir même d'écrire en tant qu'élan vital. 

Ceci ne serait-ce que parce qu'écrire un présent mortifère en n'ayant de cesse de rappeler le caractère inéluctable de sa condition, implique à première vue d'écrire sans espoir de révolution. 

Partant, si dans un premier temps on pourrait se demander comment écrire en mettant en crise l'acte même d'écrire, d'un point de vue plus technique – ou poétique – la question fondamentale me semble être la suivante : Comment l'écriture – principe fixateur par essence – peut-elle rendre compte  du non-accomplissement – c'est-à-dire de ce qui s'évapore, s'évanouit ou oublie d'advenir? 

Peut-être en re-conférant à l'écrit – versant actif de l'écriture – un pouvoir créateur capable d'interroger via sa substance même et la puissance de ses métamorphoses.

Ecrire les micros-mouvements du blocage, ses indécisions.

Ecrire le doute, les élans vitaux – aussi minimes soient-ils.

Ecrire le surplace, les allers-retours, les résignations lentes, les coups de pioche dans la glace, les appétences, le souvenir ou la résurgence du cri. Traquer la vie, dans ses variantes infinitésimales, dans ses retraites les plus insoupçonnées et simplement parvenir à faire entendre ça – ces vociférations sourdes, ces bouillonnements là. 


Voilà ce que pourrait être le pari des COEURS TÉTANIQUES :

Ecrire la sidération à revers ou en creux, par la vie qui reste et dépose malgré. Par son commentaire, ou son contrepoint. 

Ecrire pour des acteurs – le pied au bord de ce vertige-là – une matière-langue modelable à l'infini qui procède par bribes, dépôts et traces et devienne le « gérondif-témoin » des sursauts du désir comme des errances sidérées. 

Une matière-langue qui s'auto-régénerant donne à entendre le bruissement lent qui mène à la sclérose cependant qu'elle dessine la possibilité d'une mise en branle de l'inertie : « Et si je te mange, je te tue. »

Sigrid CARRÉ LECOINDRE

Photo. Valérie Montagu

Photo. Christian Berthelot

PRÉOCCUPATIONS ATHMOSPHÉRIQUES / Extrait n°1

Le monde penche 

ostensiblement, c’est un fait, 

D’où qu’on se place, il penche. Qu’en dites-vous? 

Le phénomène est observé de manière plus ou moins radicale selon 

les époques, 

les espaces 

ou les individus concernés… 

(...)

C’est un déplacement.  Un défaut du désir : 

Un défaut de la / joie ?

RENCONTRE / Extrait n°2

LE VERTIGE. Qu’est ce que vous faites dans cette position?

 

ALMA. Je vous regarde. J’attends.

 

LE VERTIGE. Vous êtes en colère.

 

ALMA . Je me suis calmée pour l’instant. 


LE VERTIGE. Vous attendez quelque chose — ou quelqu’un —

qui tarde à venir…C’est pour ça que vous êtes en colère.

 

ALMA. Je vous dis que je me suis calmée. 

 

Elle change de position. Se rassoit. Temps. 

 

LE VERTIGE. Vous me faite rire.

 

ALMA.  A lui. Vous êtes bien le seul… pourquoi?

 

LE VERTIGE. Oh, pour rien.

 

Temps. 

 

ALMA. Vous pensez que ce sera comment?

 

LE VERTIGE. quoi?

 

ALMA. l’avenir 

 

LE VERTIGE. Ah…

 

ALMA. Vous pensez que ce sera comment?

 

LE VERTIGE. Inégal.

LES OIES SAUVAGES / Extrait n°3

LIV. Les oiseaux sont partis.

En chute libre vers le sud — les oies blanches ont atteint la ligne d’horizon et puis elles s’en sont allées. Elles ont disparu du regard. Comme avant elles les cygnes de Bewick, les cygnes chanteurs, ou les grands blancs polonais — ceux dont la face s’obstine, retarde en tumeur à l’encastrée du bec, ceux là — et puis les autres aussi : les alouettes les bernaches les grues les hérons et aigrettes les canards à leur tour — chipeau, pilets, cols verts  — les canards siffleurs et les bécasses timides… 

C'est dans l’ordre des choses de cette saison là — coincée entre 

ocre 

et brume, à cette heure d’inégale avancée du jour dans la nuit, cette heure d’avant-même

quoique-ce-soit où les somnambules crispent à leur fil, à cette HEURE là qui retient ses hasards objectifs — les oies blanches ont atteint la ligne d’horizon. Aussi secrètement 

que le petit matin tremble ses premières lueurs — fuyant les marécages, les étangs, les marais, délaissant les forêts, dédaignant les lagunes ; narguant aussi peut-être, du regard plissé des grands voyageurs, la vie qu’elles ont laissé pour rejoindre cette cohorte de voiles ouvertes, gonflées d’adrénaline, cet escadron de faux départs enfoncé de déséquilibres d’enthousiasmes naïfs de folles embardées. Toujours dans cet ordre : cygnes alouettes bernaches grues hérons et aigrettes canards. Et bécasses timides. Une merveille de ballet — 

minutieusement rodé, TRANSMIS 

de générations en générations d’habitudes — cygnes alouettes bernaches grues hérons et aigrettes canards, et bécasses timides — au centre de la horde, les juvéniles piaillent le souffle neuf de leur poumons avides, pas 

à PAS de 

petites 

PATTES

d’oies 

gravées au front fiévreux du ciel —

 

Temps. 

Elle s’adresse désormais au Mari-Trou.

 

Ca existe très fort, 

 

et puis ça n’existe plus — 

L’horizon a démonté sa ligne. Les oiseaux sont partis — S’abandonnant à quel nouveau mirage,  à quelle IMPLACABLE boussole — les oiseaux ont passé. 

C’est dans l’ordre des choses de cette saison là. Bientôt 

certains diront qu’ils ont fuit LES OISEAUX NE FUIENT PAS.

Leur LIBERTE ne conquiert RIEN ; elle ne procède d’aucune victoire Elle suit l’air du temps. 

Le départ des oiseaux — c’est de la hardiesse de carte-postale : catégorie « déterminisme primaire » Temps. Elle sourit. Mais c’est charmant aussi. Charmant comme 

rassurant — Les oies blanches ont rejoint les alouettes, les bernaches, les grues. 

Les hérons et aigrettes   et leur disparition contient déjà l’imminence de la neige.

 

Elle sourit de nouveau, indéfectiblement 

Il y a des erreurs que l’on cherche, et d’autres qui nous trouvent. Des précipices 

pour des monstres centenaires Le signe vient toujours du ciel. De cet 

indiscernable qui bouge entre les lignes — Un jour la nature se taira pour de bon — on oubliera le son claqué d’un battement d’ailes, on oubliera les voix et les visages qu’on rengaine par dessus — On les cherchera

dans le doute de nous-mêmes — LE CANCER C’EST L’INERTIE.

LIBRE ARBITRE / Extrait n°4

LA MAISON-FRÈRE. Il conviendrait d’aller chercher du côté

du libre arbitre, 

de la résilience, du défaut de la consigne,

de la négociation d’AVEC

la consigne, 

ou de l’expérimentation du choix. Se poser…

les questions véritables

Par delà les barrières de la langue, les engloutis du langage, 

INVENTER

une matière-monde capable de parler du blocage.

De parler le blocage, la sclérose, 

l’incapacité à.

 

INVENTER. 

INVENTER. 

INVENTER.

 

 — il conviendrait juste d’inventer…

d’aller fouiller un peu en deçà de l’image ou de la

forme passagère de l’image.

En deçà des contreforts de l’utopie.

 

Vous savez tout ça. Vous vous l’êtes déjà dit, 

 

redit. 

Vous êtes de ceux qui réfléchissent 

Sur-placent en pensées, piétinent.

 

Vous cherchez… 

 

Une réponse peut-être.

Il n’y en a pas. Les réponses font de mauvaises histoires.

Des histoires 

épuisées. 

 

Certains pensent que c’est un motif.

L’illusion. 

Un motif à quoi? 

 

Vous voudriez bouger

QUELQUES MOTS DE LENA PAUGAM...

« Sigrid Carré Lecoindre écrit des partitions musicales pour acteurs, des morceaux d’émotions qui, par leurs pulsations rythmiques singulières, nous invitent à percevoir une théâtralité étonnante, un présent incertain et suspendu. Pour Les Cœurs tétaniques, j’ai conçu un dispositif dans lequel les spectateurs sont amenés à circuler librement au fil des fragments du texte. Le public se déplace avec les acteurs dans le décor et coud entre elles les pièces du poème qu’il écoute, guidé par le corps sensible des personnages désertés. Les spectateurs peuvent se tenir près des acteurs ou rester à l’écart, ils évoluent comme eux dans la représentation d’un monde personnel volontairement décalé de la réalité. Je recherche ce que cela implique pour chaque acteur du point de vue corporel de cohabiter avec le public dans le même espace. Quelle qualité de présence cela peut-il produire ? Quel rapport au réel cela convoque t-il ? Je me plais à travailler avec les acteurs comme s’ils étaient des solitudes perdues au milieu d’une foule. Ils doivent sans cesse renouveler leur rapport à l’espace en fonction de la présence aléatoire du public. Je recherche un langage scénique approprié à la langue de Sigrid Carré Lecoindre pour rendre compte d’un état physique, au-delà de toute histoire, d’une sensibilité au monde ». Lena Paugam

 

>> D'autres photos des représentations de novembre 2016 sont visibles directement sur le site de Christian Berthelot.

 

>> Voir le documentaire réalisé par François Hébert sur les répétitions des COEURS TÉTANIQUES.

LA PRESSE EN PARLE

MEDIAPART / Jean-Pierre Thibaudat, 15 novembre 2016

A Rennes, le festival « Mettre en scène » ose la découverte

"(...) passionnante est Les Cœurs tétaniques, la seconde partie du diptyque présentée cette semaine (dont j’ai pu voir une étape au Théâtre de Gennevilliers), une pièce faite d’éclats signée Sigrid Carré Lecoindre. On y retrouve les mêmes acteurs (Leslie Bouchet, Sébastien Depommier, Antonin Fadinard, Pierre Giafferi, Hélène Rencurel et Fanny Sintès) accompagnés par Nathan Gabily qui signe la musique. Une écriture qui inspire à Lena Paugam un bel espace fait d’alcôves et de ressacs où le public déambule."