D'après LES YEUX BLEUS CHEVEUX NOIRS de Marguerite DURAS.
Adaptation théâtrale Sigrid CARRÉ LECOINDRE et Lena PAUGAM
Avec Sébastien DEPOMMIER, Fanny SINTÉS et Benjamin WANGERMÉE.
Mise en scène, Lena PAUGAM
Composition musicale Aurélien DUMONT
Création lumière Jennifer MONTESANTOS
Une maquette du spectacle a été créée en mai 2013 au Jeune Théâtre National (JTN).
Le spectacle a été repris en mars 2014 au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival JT14, puis à l'occasion de la première édition du Festival Lyncéus (Binic) en juillet de la même année.
Une ultime version a ensuite été créée 2015 puis représentée en novembre 2015 à Rennes et en janvier 2016 à La Passerelle - Scène nationale de St Brieuc dans le cadre du Festival METTRE EN SCÈNE ; en juin 2016 dans le cadre du Festival IMPATIENCE à Paris, puis enfin au Théâtre de Lorient en décembre 2016.
"L’homme, la femme, le tiers : trois figures perdues dans une chambre vide. Entre elles, un contrat : des nuits payées pour se tenir ensemble et tenter de réanimer la sensation enfuie du désir. Marguerite Duras fait de la scène et de la littérature en général le lieu d’une parole qui dit l’impossible toucher, l’impossible fusion. Elle raconte ici l’inaccessibilité de l’étreinte, et l’inlassable quête de l’abandon de l’être dans l’amour."
Lena PAUGAM
"L’AUTRE : Elle dormirait, dit l'acteur.
LUI : Elle dort.
L’AUTRE : Elle aurait l'air de le faire, de dormir.
LUI : Elle a l'air de le faire. On ne sait pas.
L’AUTRE : L'air d'être toute entière partie dans le sommeil, avec les yeux, les mains, l'esprit. Le corps n'est pas tout à fait droit, il verse un peu sur le côté, vers l'homme. Les formes sont souples, leurs enchainements sont invisibles. Des mots viennent à la bouche, ceux de la dislocation des formes sous la peau qui recouvre. La bouche est légèrement entrouverte, les lèvres sont nues, gercées par le vent, elle a marché sans doute pour venir et il fait déjà froid. "
Et, dans le regard, la tristesse d'un paysage de nuit,
d'après LES YEUX BLEUS CHEVEUX NOIRS de Marguerite DURAS (extrait)
Fanny SINTÉS et Sébastien DEPOMMIER, maquette au Jeune Théâtre National. Mai 2013. Photographie. Laurent FONTAINE CZACZKES.
« Il n'y a que les femmes qui habitent les lieux, pas les hommes. (...) On en est encore là, nous les femmes...(...) dans des rapports que les hommes n'auront jamais avec un habitat, un lieu.»1 Ce sont les mots qu'adresse Marguerite Duras à Michelle Porte, lors de leur entretien publié sous le titre Les lieux de Marguerite Duras aux Editions de Minuit, en 1978.
Qu'il s'agisse de la maison – écrin chéri de l'auteure – ou bien encore de l'hôtel – lieu par excellence du croisement des corps et de la non-érosion du désir –, chez Marguerite Duras, le lieu n'est pas seulement habité. Il est éprouvé, survécu.
Et les héroïnes durassiennes entretiennent des rapports particulièrement ambigus de porosité, de continuité – voire de fusion – avec les lieux qu'elles occupent et qui semblent imprimer leurs déambulations muettes.
Ainsi, la femme- « coulée » de La Maladie de la Mort et ensuite des Yeux bleux cheveux noirs n'échappe pas à la règle.
Étendue dans « la flaque blanche des draps », elle semble se répandre dans cette pièce au contour diffus qu'elle ensilence et ensommeille au gré de ses évanouissements successifs.
Distillant sa présence au creux de cette chambre incertaine – peut-être est-ce celle d'un hôtel ou seulement celle d'une trace d'hôtel ; peut-être est-ce celle d'une maison, ou seulement celle d'un effacement, d'un souvenir de maison –, elle prend progressivement possession de l'espace et brise la frontière mince qui sépare le contenu du contenant. Elle devient impulsion sensible : le lieu s'origine en elle, tout comme elle prend naissance en lui. Il n'y a plus de place pour la faiblesse de l'autre dans l'antre de la femme originelle qui, gouvernant les lieux, devient femme-demeure, abri à l'écart du monde, occasion du sacré au sens premier du terme.
Sigrid CARRÉ LECOINDRE, notice dramaturgique sur La Maladie de la Mort (extrait).
Pour prolonger la lecture : /MALADIE_DE_LA_MORT_MALADIE_DE_LA_MER_E.R.htm
" Elle dit : et, dans le regard, la tristesse d’un paysage de nuit représente la tragédie d’un théâtre débordé par l’écriture. Cette pièce raconte la douleur d’une histoire qui ne s’éteint pas, ni ne s’épuise, qui se reformule inlassablement, toujours en attente de disparaître, formulée depuis le bord de l’abîme, à la limite du précipice, et tournant autour du silence, du grand silence le guettant à la fois comme une issue et comme une catastrophe. Une parole au cœur de la crise. Crise musicale du manque et de l’excès.
Cette création s’appuie sur le texte de Marguerite Duras intitulé Les Yeux bleus cheveux noirs. C’est une pièce de théâtre ou un roman, peu importe. Cet écrit fait partie de ces œuvres au-delà de tout genre, résistant à toute tentative de définition. Une adaptation théâtrale de La Maladie de la Mort avait été commandée à Duras par Luc Bondy pour la Schaubühne de Berlin, et Marguerite butait, adaptait, réadaptait, écrivait, réécrivait l’histoire, son éternelle histoire, celle de l’homme atlantique, déjà tant de fois dite et redite. Et puis : Les yeux bleus cheveux noirs, matériau hybride contenant ensemble tous les principes et contradictions du théâtre de Marguerite Duras, une sorte de fantasme dont elle dira dans La Vie Matérielle qu’il pourrait être l’emblème d’une nouvelle forme de théâtre.
Ce théâtre, dont l’auteur dit qu’il ne saurait qu’être « lu, pas joué », il faut l’envisager comme le rêve, à la fois utopique et impératif, d’un lieu sanctuaire, d’un espace privilégié où le corps représenté se mettrait au service de l’écriture, où l’écriture elle-même deviendrait corps par le biais de la parole, où il ne serait question que de cela : de la représentation des mots et du drame de les dire, de les lire, de les relire, de les réécrire. Le théâtre comme une chambre de voix où le livre s’invente, se crée, advient. "
Lena PAUGAM, note pour la mise en scène (extrait)